IV
1790-1807
« Au commencement de la
Révolution, j'essuyai une longue maladie, à laquèle elle n'avait pas peu
contribué. Interdit ensuite par l'assemblée constituante avec les autres
Prédicateurs déclarés fonctionaires publics, je me bornai à la direction
des âmes qui peu à peu devint toujours plus difficile et exigea les plus
grandes précautions. Acusé d'avoir concouru à des administrations
secrètes, qui déplaisaient si fort aux intrus, je fus obligé de m'éloigner
pour quelque tems ; mais je ne voulus point encore quiter le royaûme. J'alai
passer le careme à Toulon avec deux autres Prêtres de mes parens ; et nous
y fumes assez tranquiles jusqu'à la semaine sainte, à la faveur de la
mascarade laïque, dont nous nous étions afublés (lettre à Bettinelli, 26
oct. 1792). »
On comprend sans peine que
les troubles révolutionnaires aient plongé cet artisan de paix, qu'était
J.-F. Féraud, dans cette longue maladie dont il s'ouvre à son ami,
l'ex-jésuite italien. De même, qu'il ait pensé trouver un asile,
illusoire, dans la cité toulousaine.
Durant toute sa longue vie,
l'abbé Féraud n'aura connu sur le siège épiscopal marseillais que deux
évêques, Belzunce et Belloy. Cependant, le dimanche 20 février 1791,
réunie à Aix, dans la Cathédrale Saint-Sauveur, une Assemblée électorale
choisissait le curé d'Eyragues, Charles-Benoît Roux, pour être le
métropolitain du diocèse, nouvellement créé par la Convention, des Côtes
de la Méditerranée. A Marseille, 101 prêtres le rejoignirent dans le camp
de ceux qui avaient prêté serment à la Constitution civile du clergé,
tandis que 119 refusèrent de prêter ce serment, parmi lesquels
Jean-François Féraud.
On sait comment, à
l'initiative du maire Mourraille, le navire Sainte-Elisabeth devait
emporter la totalité de ces prêtres marseillais non-assermentés jusqu'à
Nice, leur première terre d'exil, le 24 juillet 1792.
Féraud, dans cette cité des
Etats de Piémont-Sardaigne, devenue le refuge des aristocrates provençaux
émigrés ainsi que de nombreux ecclésiastiques, ne se sentait pas trop
isolé et, sans plus tarder, entreprit de s'intéresser de plus près aux
lettres italiennes, "formant, d'après ses dires, le projet de commencer un
essai de traduction de divers ouvrages italiens", en particulier, de
sermons dus aux meilleurs prédicateurs de la péninsule.
Mais, voici que dès le 13
septembre 1792, le général d'Anselme reçut du ministre Montesquiou l'ordre
de franchir le Var, ce qu'il fit avec ses troupes le 25, attaquant Nice,
d'où les troupes sardes, dès le 28, préférèrent se retirer sans combattre.
La Cour de Turin refusant
l'asile aux réfugiés, ceux-ci durent fuir vers les Etats-Pontificaux ;
c'est ainsi que Féraud alla chercher à Ferrare le havre où se mettre à
l'abri des joutes sanglantes de ce malheureux temps.
Bien sûr, les nouvelles
reçues de France, l'accablaient : « elles me rompent bras et jambes,
écrit-il, et je ne suis capable de rien. »
Cependant, grâce aux bons
soins de la famille du marquis ferrarais Zaniglia, protectrice éclairée
des jésuites italiens réfugiés sous son aile, au premier rang desquels le
Père Saverio Bettinelli (1718-1808), dont l'œuvre complète, en 24 volumes,
publiée à Venise en 1800, proclame l'excellence et qui devint l'ami intime
de J.-F. Féraud, d'où un échange entre eux de lettres infiniment
précieuses.
Féraud y confesse que cet
entourage, joint à "l'air gras de Ferrare" (c'est son mot), lui a rendu la
santé, même mieux : "une certaine joie de vivre" (lettre du 21 septembre
1794 au Père Bettinelli).
Il travaille avec
enthousiasme, confie-t-il à son correspondant, à la traduction de la
"Clémence de Titus" de Métastase.
Ses propres productions, en
vers, ne sont pas, loin s'en faut, le meilleur de son œuvre. Elles ont le
mérite de l'avoir aidé à vivre mieux des heures difficiles, il en
convient en ces termes :
"O trop aimable poésie
Bonne ou mauvaise que tu
sois
Certainement tu m'as sauvé
la vie
Je le publierai sur les
toits,
J’étais rongé par la
mélancolie
Lorsque tu vins à mon
secours
Je te devrai la suite de mes
jours."



En avril 1795, pour la
première fois, à Marseille, les offices religieux sont à nouveau célébrés
dans l'église St-Laurent. L'abbé Féraud apprend vite la nouvelle, aussi
pense-t-il rentrer le plus tôt possible ; son retour a dû s'effectuer en
96. En 97, en tout cas, il est à Marseille, puisque la première liste
publiée des membres correspondants de l'Institut, créé en 1795, mentionne
Jean-François Féraud parmi ces derniers comme résidant à Marseille.
L'Académie de Marseille, ne
gardant aucune prévention à son encontre, malgré ses refus antérieurs,
songea de nouveau à lui, qui, cette fois, accepta. Il y fut donc élu, avec
le parrainage de son ami, le Père dominicain Paul Menc, et du
bibliothécaire Achard, directeur cette année-là, le 3 mai 1800. Il faut
dire à la vérité qu'il fut un académicien peu assidu, puisque les archives
de la vénérable Compagnie ne gardent trace d'aucune intervention de sa
part au cours des trois ans où il occupa le 19ème fauteuil. En
1803, l'abbé, ressentant les effets de l'âge, il va vers les 80 ans,
demanda "la vétérance", comme l'on disait alors.
Sur ses vieux jours, il
donnait des conférences spirituelles dans l'église St-Laurent, lieu de son
ministère. Durant les deux dernières années de son existence, celles de sa
"vétérance", il semble que la fatigue, jointe à l'extrême indigence,
l'aient, le plus clair du temps, retenu chez lui, où il mourut le samedi 8
février 1807.
En mourant, l'abbé Féraud
laissait un manuscrit de trois volumes in-4° contenant des additions et
des corrections pour son Dictionnaire critique. De plus, il avait
préparé une moisson de notes en vue d'un traité relatif à la langue
provençale, qui fut l'objet principal de sa recherche dans l'ultime
décennie de son existence. Tous ces papiers furent, hélas, dispersés après
la mort de l'auteur, par suite de la négligence des héritiers.
Au cours du XIXème
siècle, quelques liasses de ce trésor ont été recueillies par un
bibliophile marseillais, J.-B. Bory, à la disparition duquel ils furent à
nouveau dispersés, après vente aux enchères (en 1875).
Le grand savant que fut
Auguste Brun en retrouva finalement diverses épaves qui lui permirent de
mettre sur la voie de cette recherche son disciple, Jean Stéfanini, qui
put consacrer 120 pages de sa thèse à étudier, grâce aux inédits conservés
à la Bibliothèque Municipale, l'apport de l'abbé Féraud aux études de
linguistique provençale, où il s'avère avoir été un remarquable
précurseur.
L'écriture de notre abbé
reflète manifestement sa personne, claire, sobre, régulière, excluant tout
ornement gratuit ou paraphe de fantaisie. On le voit au travail,
méticuleux, précis, ouvert aux idées nouvelles, mais ferme dans sa
fidélité aux traditions éprouvées. Un homme par excellence de vaste
culture, essentiellement européenne.
En un temps difficile, où il
n'était guère aisé de tenir une position juste entre le conservatisme
janséniste et l'ardeur désordonnée du mouvement philosophique, il fut, au
meilleur sens du terme, un homme des lumières ; plus exactement, si nous
pensons à ses qualités de prêtre exemplaire, un homme de Lumière.



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