Tableau 24
Rilke: 4 déc. 1875 -
29 déc. 1925
C'est en ouvrant le numéro du mois de juillet 1911 que les lecteurs attentifs de la Nouvelle Revue Française
peuvent découvrir la publication dans une admirable
traduction de Aline Mayrisch des fragments d'une oeuvre qui
s'intitulera Les cahiers de Malte de Laurids Brigg, immortel chef d'oeuvre.
Les
plus avertis de ces lecteurs perçurent que là
était l'annonce d'un changement de climat littéraire de
la République des lettres en Europe.
L'Europe qui à cette date était au bord de sa disparition dans le gouffre d'un conflit suicidaire.
Par bonheur il y eut entre autres ces deux poètes qui se
levèrent pour dire non au désastre. L'un, Paul
Valéry, dont le grand poème La jeune parque
sortait des presses et Rilke, tous deux créateurs d'un
univers nouveau: Valéry créateur d'un nouveau cosmos,
disons de l'Esprit et Rilke, lui, créateur d'un nouveau cosmos
de l'Ame.
Tous deux se rencontrèrent et no
uèrent
une amitié solide d'une décennie de ce temps
jusqu'à la mort prématurée du poète
tchèque devenu valaisan dans les toutes dernières
années de son existence. Le Valais, terre où il a choisi
de reposer.
Rilke
écrivait un jour ce qui peut être regardé
comme fournissant une clé apte à ouvrir bien des serrures
à l'intérieur de son oeuvre:
" Nous sommes des abeilles de l'Univers. Nous butinons
éperdument le miel du visible pour l'accumuler dans la grande
ruche d'or de l'Invisible".
L'Esprit,
cher à Valery, l'Ame, jardin de Rilke, sont des facultés
qui comprennent l'Eternité. A ce stade, Douleur et Honneurs
relèvent d'une signification quasi identique. Dans son crible
l'âme retient de son expérience tout ce qui peut avoir une
signification immortelle et qui peut l'enrichir.
Ceux
qui partagent ce point de vue rilkien peuvent être dits
"visionnaires", parmi les poètes, ils sont relativement nombreux
et se rangeraient volontiers sous la bannière
d'Orphée.
Orphée
figure mythique, fils de Calliope, muse de la poésie et de la
science, à l'histoire pathétique bien connue et dont
l'itinéraire a fourni à tout un courant de poésie
tant philosophique que religieuse, le thème d'une doctrine
l'Orphisme, ses règles, ses rites liturgiques son sacerdoce...
On
a l'impression qu'il eut suffi d'une légère chiquenaude
du destin pour que Rilke fut l'un des fldèles de
cette religion à mystères.
Dans le chef d''œuvre de la fin de sa vie, les Sonnets à Orphée, permettent , semble-t-il, la légitimité d'une telle hypothèse?