novembre 2012
Massignon
C'était
le jeudi 3 mai 1956, nous étions deux: un étudiant
de la Fac des lettres d'Aix, aujourd'hui le Père
Mérigoux, et moi, qui allions à la "Maison des
étudiants catholiques", rue Aldebert.
Là,
était annoncée une conférence du Professeur Louis
Massignon, dont on commémore ces jours-ci le cinquantenaire de
la mort (31 octobre 1962).
J'ai sous les yeux le feuillé où, une fois rentré
au couvent du 35 Rue Edmond Rostand je tentais de mettre un certain
ordre aux notes prises au cours de ce mémorable
événement; grâce à ces bribes, je retrouve
le souvenir de ce jour, lorsque devant nous apparut un
sexagénaire au
visage émacié, vêtu un peu à la
manière d'un huguenot cévenol de la Belle Epoque, qui,
dès sa prise de parole, se manifesta comme un prophète de
la lignée d'Amos, déroulant, face à un auditoire
quelque peu médusé, les fulgurantes intuitions d'un
familier de l'intimité divine.
Sa
conversion s'était produite par l'intermédiaire du grand
mystique de l'Islam, Al Hallai (martyrisé par ses
coreligionnaires en 922 à Bagdad). Par le détour d'une
thèse universitaire, Massignon avait appris de lui des
réalités que les catholiques trop
généralement oublient , vérités venues du
témoignage d'un musulman mort en croix pour avoir tenu des
propos sur Dieu et l'Amour.
Il
faut avoir lu dans son Bratislava (Grasset 1990) les pages de Fr.
Nourissier consacrées à Massignon, souvenirs datant des
jours où il était son assistant en Palestine au service
des personnes déplacées (p. 180-192). Elles sont toutes
palpitantes e vie , prenantes quant à l'évocation de cet
homme, la nuit de Noël 1949, au sein du brouhaha de la basilique
de Bethléem, agenouillé, à même une dalle,
un petit crucifix à la main, puis plongé dans un
prosternement absolu en une très longue prière, ayant
comme par enchantement crée autour de lui un abîme de
silence. Se relevant enfin, le visage baigné de larmes,
ruisselant d'émerveillement. C'est ainsi qu'il me plaît,
personnellement, de toujours l'évoquer vivant.
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