février 2008
La Provence Mystique
Il y a un siècle, le 4 mars 1908,
sortait des presses de la maison éditrice Plon-Nourrit et Cie.
un
ouvrage intitulé La Provence mystique, dû à la plume de l'abbé
Henri Brémond. C'est ce centenaire qu'il nous faut aujourd'hui marquer du
petit caillou blanc dont parle l'Apocalypse.
Bien que d'un fort volume (394
pages) cet ouvrage, tel l'hirondelle annonciatrice du printemps, préludait
à ce qui devait, un jour, se révéler comme la grande oeuvre du signataire:
L'histoire littéraire du sentiment religieux, récemment réédité
chez Millon à Grenoble.
Il est d'un grand bienfait de
relire à un siècle de distance les pages de La Provence Mystique,
pour se convaincre qu'elles ont défié le temps et s'imposent à l'attention
du lecteur conquis, comme un pur chef d'oeuvre. Oui, l'abbé Brémond mérite
bien le trophée promis: "vincenti dabo calculum candidum " (Apocalypse,
II-17).
Prêtre depuis le 8 septembre 1892,
il vient d'entrer en 1908, dans la plénitude de la quarantaine de son âge
et se trouve déjà à la tête d'une bibliographie fournie: trois titre
dédiés à l'Inquiétude religieuse, une biographie de Bx. Thomas More,
le fameux essai sur Newman, plus d'autres recueils (L'enfant et la vie,
Le charme d'Athènes).
Après ce périple essentiellement
anglais, le quadragénaire aixois dut éprouver le besoin d'un retour aux
sources, de retrouver le climat de ses origines, ce qui nous vaut la
présentation magistrale des portraits croisés du Père Antoine Yvan et de
la Mère Madeleine Martin.
C'est dès les premières pages de
l'oeuvre que figure le morceau inoubliable où l'auteur, sans rien renier
du tambourin et des cigales, s'applique à célébrer le génie d'une Provence
selon son coeur, dont il voudrait que dans ses armes vienne figurer, en
bonne place, le grave feuillage de l'olivier multiséculaire.
Austère et recueillie, écrit-il,
la vrai Provence offre aux regards le ferme dessin de ses collines, "le
vent glacé qui la tourmente et ranime sans trêve, ses champs rouges et
brûlés qu'il faut constamment disputer à la pierre vive, ne lui prêchent
ni l'étourderie ni la volupté. Obstinément fermée à tout ce qui lui
viendrait de l'autre rive du Rhône, elle s'assimile sans résistance ses
pesants voisins des Alpes qu'un instinct séculaire attire chez elle et
dont la rudesse se marie volontiers à la gravité un peu sèche de nos
ancêtres romains. De solides puissances de réflexion et de travail, une
sobriété naturelle, une clairvoyance qui reste toujours éveillée aux
heures même des pires folies, d'autres forces encore paralysent souvent
chez elle et toujours atténuent le ferment qui la porte à la frivolité et
au caprice. L'originalité de la Provence ne consiste pas, comme on le
croit souvent, dans l'excès de ses qualités brillantes, mais plutôt dans
l'équilibre qu'elle parvient d'ordinaire à maintenir entre ses tendances
contraires ...
Sa philosophie naturelle n'est pas
gaie et sa religion naturelle n'a pas supprimé la face terrible de
l'Évangile. Elle irait au jansénisme, si elle ne réprouvait pas
invinciblement toutes les outrances dogmatiques, et si elle pouvait
s'accommoder d'un culte où l'imagination n'a plus de place."
Lire ou relire la Provence
Mystique de l'abbé Henri Brémond doit constituer, pour nous aussi, comme
l'équivalent d'un pèlerinage aux sources.